Henri Alleg

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Henri Alleg
Henri Alleg à la fête de l'Humanité en 2008.
Biographie
Naissance
Décès
Nom de naissance
Harry John SalemVoir et modifier les données sur Wikidata
Nationalité
Activités
Conjoint
Gilberte Alleg-Salem (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Enfant
Autres informations
A travaillé pour
Partis politiques
Conflit
Archives conservées par

Harry Salem dit Henri Alleg, né le à Londres et mort le à Paris 19e, est un journaliste français, membre du PCF et ancien directeur d'Alger républicain. Il est notamment l'auteur de La Question, un livre dénonçant la torture pendant la guerre d'Algérie.

Biographie[modifier | modifier le code]

Enfance et installation en Algérie[modifier | modifier le code]

Né à Londres de parents juifs russo-polonais[2],[3], Henri Alleg n'a jamais complètement embrassé son identité juive en raison de ses opinions sur Israël en tant qu'agent du colonialisme raciste[4]. Alleg a passé une partie de son enfance à Paris où, pendant les années de la guerre civile espagnole, il a été confronté à un environnement scolaire de plus en plus politisé avec des réfugiés italiens qui s'opposaient à l'arrivée de Mussolini en France avec des Allemands juifs.[réf. nécessaire]

Alleg est parti pour l'Algérie en 1939 et, à 18 ans, est devenu intimement lié au Parti communiste algérien. En 1946, il épouse Gilberte Serfaty qui deviendra comme lui une ardente militante communiste. En 1951, il devient directeur du quotidien Alger républicain.

La guerre d'Algérie : arrestation et torture[modifier | modifier le code]

Il entre dans la clandestinité en 1955, date d'interdiction du journal Alger républicain, quitté l'année précédente par Boualem Khalfa, premier musulman à diriger la rédaction d'un grand quotidien, pour rejoindre la presse du Parti communiste algérien. Henri Alleg continue cependant à transmettre des articles en France dont certains sont publiés par L'Humanité.

Il est arrêté le par les parachutistes de la 10e DP[5], au domicile de son ami Maurice Audin, jeune assistant en mathématiques et militant du Parti communiste algérien comme lui, arrêté la veille et qui sera torturé à mort.

Il est séquestré un mois à El-Biar, où il est torturé lors de plusieurs séances, puis subit un interrogatoire mené après une injection de penthotal, utilisé comme « sérum de vérité ». Aussi, il est torturé avec les électrodes, la torture par l'eau, pendaison, et la combustion avec les torches et des cigarettes[6].[source insuffisante]

Il aurait tenu tête crânement face à ses bourreaux (principalement les lieutenants André Charbonnier et Philippe Erulin sous les ordres du capitaine Marcel Devis[7], en leur déclarant : « Je vous attends : je n’ai pas peur de vous »[8]. Le général Massu, qui reconnaît plus tard l'utilisation de la torture dans certains cas particuliers lors de la guerre d'Algérie, affirme en 1971, « en fait de tortures, Alleg a reçu une paire de gifles »[9]. Roger Faulques, officier du 1er REP, accusé d'avoir assisté à ces tortures, déclare lors d'un procès en diffamation contre Jean-Jacques Servan-Schreiber et Jean-François Kahn en 1970 : « Je ne l'ai vu qu'une seule fois, mais il m'a fourni à cette occasion des indications qui m'ont permis d'arrêter les membres du parti communiste algérien ». Cette provocation est, selon l'un des avocats de la défense maître Badinter, une tentative de justification de l'usage de la torture[10].

Il est ensuite transféré au camp de Lodi (Draa Essamar, Wilaya de Médéa) où il reste un mois, puis à Barberousse, la prison civile d'Alger, où il n'avait pas de lit, de couverture, de miroir, de chaise, ou de table. L'équipement sanitaire n'était qu'un trou avec un robinet sur le dessus. « Nous étions dans des conditions de manque total de tout ce qui aurait pu nous permettre de survivre », a raconté Alleg[11].

La Question et la censure[modifier | modifier le code]

En prison, il écrit ses récits de torture, dissimulant les pages écrites et les transmettant à ses avocats. Sa femme, Gilberte, alors expulsée d'Algérie, reçoit les pages, les tape, puis les distribue aux relations littéraires et journalistiques françaises qu'Alleg avait nouées pendant son temps à Algér républicain.[12]

Elle travaille sans relâche pour présenter les pages où Alleg raconte sa période de détention et les sévices qu'il y subit. Lors d'une réunion publique à Paris, Gilberte déclare alors : « Si la ‘séquestration’ de mon mari, ‘l’évasion’ de Maurice Audin, le ‘procès’ de Djamila Bouhired ont eu un retentissement exceptionnel, ce ne sont pas des cas exceptionnels. C’est dans notre pays la réalité quotidienne…nous attendons de vous que vous nous aidiez à obtenir l’arrêt de toutes les exécutions…nous vous demandons un effort immense, un effort à la mesure de votre responsabilité. »[12]

Alors que la plupart des éditeurs ont exprimé leur intérêt pour ce qu'Alleg avait à dire, ils hésitent dans le climat politique à le publier eux-mêmes et à mettre en péril leurs entreprises. Gilberte persévère jusqu'à ce qu'elle réussisse à faire publier l'ouvrage de son mari aux Éditions de Minuit. L'ouvrage, néanmoins, est immédiatement interdit. Nils Andersson le réédite en Suisse, quatorze jours après l'interdiction en France de . Malgré son interdiction en France, ce livre contribue considérablement à révéler le phénomène de la torture en Algérie. Sa diffusion clandestine s'élève à 150 000 exemplaires[13].

Un film tiré du livre et réalisé par Laurent Heynemann[14] sort en 1977 avec dans les rôles principaux Jacques Denis et Nicole Garcia, et reçoit le prix spécial du Jury au Festival international du film de Saint-Sébastien.

Le procès[modifier | modifier le code]

Trois ans après son arrestation, il est inculpé d'« atteinte à la sûreté extérieure de l'État » et de « reconstitution de ligue dissoute » et condamné à 10 ans de prison.

Les officiers qu’Alleg a accusés de torture ont tous nié. Après le verdict de culpabilité, les autorités militaires ont envoyé deux médecins pour examiner Alleg, mais personne de l'extérieur du gouvernement français n'a été autorisé à voir Alleg pendant ce temps. En plus, un juge militaire a voyagé avec Alleg dans les bâtiments où Alleg a dit qu’il a été torturé. Le but était pour Alleg de décrire, de mémoire, l'intérieur de l’espace pour valider qu’il a été détenu là-bas. Malgré le fait qu’Alleg a parfaitement décrit l’intérieur, il a été renvoyé à la prison militaire.[pas clair] Le jour où son livre La Question est saisi, le gouvernement français publie des informations qui confirment que les médecins ont trouvé des cicatrices sur les poignets et l’aine d’Alleg. Pendant le temps qu’Alleg était en prison, la Commission internationale contre le régime concentrationnaire (CICRC) a rapporté, après avoir visité Algérie, que bien qu’il n’y ait pas un système de camp de concentration en tant que tel en Algérie, il y avait des irrégularités, y compris des mauvais traitements et de la torture, et que la police ou les forces militaires étaient généralement les coupables, détenant parfois des suspects pendant plusieurs semaines avant qu’ils ne soient dûment inculpés ou internés[15][source insuffisante].

Transféré en France, il est incarcéré à la prison de Rennes. Profitant d'un séjour dans un hôpital, il s'évade. Aidé par des militants communistes, il rejoint la Tchécoslovaquie grâce, notamment, à Alfred Locussol[16].

Le retour en France[modifier | modifier le code]

Il revient en France après les accords d'Évian, puis en Algérie où il participe à la renaissance du journal Alger Républicain. « Persona non grata » en Algérie à la suite du coup d'État de Houari Boumédiène, il se réinstalle en France en 1965. Il reprend sa plume entre 1966 et 1980 pour le compte du quotidien L’Humanité dont il devient secrétaire général. En 1979, il est envoyé spécial de L’Humanité à Kaboul et justifie l'intervention soviétique en Afghanistan[17], ce qui est la position officielle du PCF[18]. Son départ à la retraite coïncide avec son installation à Palaiseau, rue Gabriel-Dauphin où il demeure jusqu'à la fin de sa vie.

Le film documentaire de Jean-Pierre Lledo Un rêve algérien retrace son retour, 40 ans plus tard dans une Algérie qui l'accueille à bras ouverts et où il retrouve avec bonheur ses anciens compagnons.

Il est par ailleurs membre du Pôle de renaissance communiste en France et déclare regretter en 1998 « la dérive social-démocrate du PCF, qui abandonne son authenticité communiste »[19]. Il fait partie de l'association "Comité Internationaliste pour la Solidarité de Classe" (CISC)[20], fondée le sous le nom de « Comité Honecker de solidarité internationaliste », qui soutient l'ancien dirigeant de la RDA, Honecker, poursuivi par la justice allemande[21].

Il est également membre du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine.

L'Appel des douze[modifier | modifier le code]

Henri Alleg cosigne, en 2000, l'Appel des douze « pour la reconnaissance par l’État français de la torture »[22]. Les autres signataires de ce texte sont :

Les signataires précisent dans ce texte adressé au président de la République de l'époque Jacques Chirac, le sens de leur démarche : « Pour nous, citoyens français auxquels importe le destin partagé des deux peuples et le sens universel de la justice, pour nous qui avons combattu la torture sans être aveugles aux autres pratiques, il revient à la France, eu égard à ses responsabilités, de condamner la torture qui a été entreprise en son nom durant la guerre d'Algérie. Il y va du devoir de mémoire auquel la France se dit justement attachée et qui ne devrait connaître aucune discrimination d'époque et de lieu. »

Appel pour la reconnaissance de l'abandon des harkis[modifier | modifier le code]

En 2005, il cosigne une lettre au Président de la République, demandant à l'État français de reconnaître l'abandon des harkis en 1962[23].

L'hommage au Père Lachaise[modifier | modifier le code]

Henri Alleg meurt le [24],[25].

Lors de ses obsèques au cimetière du Père Lachaise le , en présence de représentants des États français et algérien, le Président algérien rappela dans un message lu en son nom que La Question est « l’un des textes majeurs qui, par leur retentissement universel et la prise de conscience qu’ils ont suscitée à travers le monde, ont indéniablement contribué à servir la noble cause des droits de l'homme en général[26]. »

Henri Alleg repose au cimetière de Palaiseau[27].

Œuvres[modifier | modifier le code]

  • La Question, Lausanne, E. La Cité, 1958 ; Paris, Les Éditions de minuit, Alger, Éditions Rahma, 1992. (ISBN 2-7073-0175-2).
  • Mémoire algérienne : Souvenirs de luttes et d'espérances, Paris, Éditions Stock, 2005, 407 pp., 24 cm. (ISBN 2-234-05818-X).
  • Prisonniers de guerre; Victorieuse Cuba. Les Éditions de Minuit :
  • La Guerre d'Algérie (en collaboration avec P. Haudiquet, J. de Bonis, H. J. Douzon, J. Freire, G. Alleg), 3 volumes ; Étoile rouge et Croissant vert; SOS America ! ; La Grande Aventure d'Alger républicain (en collaboration avec A. Benzine et B. Khalfa) ; L'URSS et les Juifs ; Requiem pour l'Oncle Sam. Chez Messidor-Temps Actuels. La Grande Aventure d'Alger républicain (réédition Delga, 2012)[28]
  • Le Siècle du Dragon : un reportage et quelques réflexions sur la Chine d'aujourd'hui et (peut-être) de demain, Paris, Éditions Le Temps des cerises, 1994 (ISBN 2-84109-016-7)
  • Le Grand Bond en arrière. Éditions Le Temps des Cerises : Le Grand Bond en arrière (réédition Delga / Le Temps des cerises, 2010)
  • Les Chemins de l'espérance. Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes
  • Retour sur La Question. Éditions Aden et Le Temps des cerises

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Alain Ruscio, « La Question, d’Henri Alleg : histoire d’un maître livre du XXe siècle », L'Humanité, . [lire en ligne]
  • Jean-François Miniac, Les Nouvelles Affaires criminelles de l'Orne, de Borée, Paris, .
    un chapitre sur l'évasion d'Henri Alleg et Alfred Locussol
  • Lamria Chetouani, « Entretien avec Henri Alleg », revue Mots. Les langages du politique, 1998, vol. 57, no 1, p. 109-129. [lire en ligne]
  • Alain Monchablon, « Berchadsky Alexis, La Question d'Henri Alleg, un livre-événement dans la France en guerre d'Algérie », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 1995, vol. 48, no 1, p. 178-179. [lire en ligne]

Filmographie[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. « https://archives.seinesaintdenis.fr/ark:/naan/a0115009619233zp5vL » (consulté le )
  2. Charles Silvestre, « Henri Alleg, auteur de "La Question", est mort », Le Monde,
  3. 1958 : D'une république à l'autre - L'avènement de la Ve République de Catherine Dhérent, Ariane James-Sarazin, Jean-Pierre Husson, Jean-Pierre Fabre, page 58, 1998
  4. Donald Reid, « Review Article: The Question of Henri Alleg », The International History Review, vol. 29, no 3,‎ , p. 573–586 (ISSN 0707-5332, DOI 10.1080/07075332.2007.9641136, lire en ligne, consulté le )
  5. Patrick Clervoy, L'effet Lucifer : Des bourreaux ordinaires, Paris, CNRS éditions, , 334 p. (ISBN 978-2-271-07670-0), p. 46-49
  6. Alleg, Henri (1921-2013)., The question, University of Nebraska Press, cop. 2006 (ISBN 0-8032-5960-3, 978-0-8032-5960-7 et 0-8032-5955-7, OCLC 494108811, lire en ligne)
  7. La question, p. 45, "Devis s'etant ecarte, Erulin prit le relais et se mit a hurler:" Tu es foutou. c'est ta derniere chance (...) le capitane est venu pour ca."
  8. Henri Alleg 1921-2013, René Fagnoni, Comité de groupe Socpresse, 18 juillet 2013
  9. Général J. Massu, La Vraie Bataille d'Alger, Tallandier, 1971
  10. « Memoire Online - Les débats autour de la guerre d'Algérie à travers le journal Le Monde - Philippe SALSON », sur Memoire Online (consulté le ).
  11. (en) Jadaliyya- جدلية, « Algerian Memories: An Interview with Henri Alleg », sur Jadaliyya - جدلية (consulté le )
  12. a et b Gilberte Alleg et Alain Ruscio, « Gilberte Alleg témoigne… », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, no 140,‎ , p. 75–78 (ISSN 1271-6669, DOI 10.4000/chrhc.9315, lire en ligne, consulté le )
  13. Jean-Yves Mollier, « Les Tentations de la censure entre l'État et le marché » in Jean-Yves Mollier, Où va le livre ? édition 2007-2008, La Dispute, coll. « États des lieux », 2007, p. 117
  14. La Question (film) réalisé par Laurent Heynemann
  15. « Algerians Told "Keep Out" By Mr. Bourguiba », The Times. London.,‎ aug 14, 1957.
  16. Militant du Parti communiste, assassiné le 3 janvier 1962, INA.fr
  17. Roger FALIGOT, Jean GUISNEL et Rémi KAUFFER, Histoire politique des services secrets français : De la Seconde Guerre mondiale à nos jours, , 844 p. (ISBN 978-2-7071-7856-5, lire en ligne), p. 318.
  18. « Georges Marchais en URSS » [vidéo], sur ina.fr (consulté le ).
  19. Henri Alleg, le rouge indélébile, Laurent Acharian, L'Express.fr, 18 juin 1998
  20. « Comité Internationaliste de Solidarité de Classe », sur solidarite-classe.blogspot.com (consulté le )
  21. (en) « Comite Honecker », sur comite-honecker.org (consulté le ).
  22. GUERRE D ALGERIE L'Appel du 31 octobre 2000
  23. Didier Monciaud, « Une vie d’engagements communiste et anticolonialiste », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 122 | 2014, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 30 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/chrhc/3373 ; DOI : https://doi.org/10.4000/chrhc.3373.
  24. Rosa Moussaoui, « Henri Alleg est mort », L'Humanité, .
  25. Insee, « Acte de décès de Harry John Salem », sur MatchID
  26. [1] Dernier hommage au journaliste franco-algérien Henri Alleg.
  27. Hommage de la Municipalité de Palaiseau à Henri Alleg.
  28. Guy Pervillé, compte rendu, L’Annuaire de l’Afrique du Nord, 1981, p. 1182-1186

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]

Sur les autres projets Wikimedia :