Joseph Conrad

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Joseph Conrad
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Joseph Conrad par George Charles Beresford (1904).
Nom de naissance Józef Teodor Konrad Korzeniowski
Naissance
Berdytchiv, Gouvernement de Kiev
Drapeau de l'Empire russe Empire russe
Décès (à 66 ans)
Bishopsbourne, Angleterre
Drapeau du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande
Nationalité Polonaise
Britannique
Activité principale
Auteur
Langue d’écriture Anglais britannique
Mouvement Littérature moderniste
Genres

Œuvres principales

Monument dédié à Joseph Conrad à Gdynia (Pologne).
Plaque commémorant "Joseph Conrad-Korzeniowski", Singapour

Joseph Conrad, de son vrai nom Józef Teodor Konrad Korzeniowski, né le à Berditchev, en Ukraine, alors province de l'Empire russe, et mort le à Bishopsbourne, en Angleterre, est un écrivain polonais et britannique, écrivant en langue anglaise.

Il est considéré comme l'un des plus grands écrivains de langue anglaise[1], bien qu'il ne parlât pas couramment cette langue avant la vingtaine, et en vint à être considéré comme un maître styliste de prose qui introduisit une sensibilité non anglaise dans la littérature anglaise. Il est l'auteur de romans et d'histoires, dont beaucoup dans des décors nautiques, qui dépeignent des crises de l'individualité humaine au milieu de ce qu'il considérait comme un monde indifférent, impénétrable et amoral.

Conrad est considéré comme un impressionniste littéraire par certains et un des premiers moderniste par d'autres, bien que ses œuvres contiennent également des éléments du réalisme du XIXe siècle. Son style narratif et ses personnages anti-héroïques, comme dans Lord Jim par exemple, ont influencé beaucoup d'auteurs. De nombreux films dramatiques ont été adaptés et inspirés par ses œuvres. Certains écrivains et critiques ont fait remarquer que ses œuvres de fiction, écrites en grande partie au cours des deux premières décennies du XXe siècle, semblent avoir anticipé les événements mondiaux ultérieurs.

Écrivant à l'apogée de l'Empire britannique, Conrad s'est inspiré des vicissitudes nationales de sa Pologne natale, partagée entre trois empires occupants, et de ses propres expériences dans les marines marchandes française et britannique, pour créer des nouvelles et des romans qui reflètent les aspects d'un monde dominé par l'Europe, son impérialisme qui passe par le colonialisme, et qui explorent en profondeur la psyché humaine. L'analyse postcoloniale (en) du travail de Conrad a stimulé un débat substantiel. En 1975, l'auteur Chinua Achebe publie un article (en) accusant Au cœur des ténèbres de racisme et de déshumanisation, alors que d'autres chercheurs, comme Adam Hochschild et Peter Edgerly Firchow (en), ont réfuté le point de vue d'Achebe.

Biographie[modifier | modifier le code]

Né en 1857 à Berdytchiv, Józef Korzeniowski est issu du clan Nałęcz de la noblesse polonaise. En 1861, sa famille déménage à Varsovie. En octobre de la même année, son père Apollo Korzeniowski, qui participe aux préparatifs de l'insurrection polonaise contre la Russie tsariste, est arrêté et emprisonné à la citadelle de Varsovie, puis condamné à l'exil à Vologda, puis à Tchernihiv. Sa famille le suit. La mère de Józef meurt de la tuberculose en . Gravement malade lui-même, Apollo Korzeniowski est autorisé à rentrer en Pologne en 1868. Il emménage avec son fils à Lviv, puis l'année suivante à Cracovie, mais il meurt en , laissant Józef orphelin à l'âge de onze ans[2]. Celui-ci est alors confié à son oncle maternel, Tadeusz Bobrowski (en), qui demeurait à Cracovie, et à qui il devait rester très attaché, entretenant avec lui une correspondance suivie jusqu'à la mort de ce dernier en 1894.

Carrière maritime[modifier | modifier le code]

À la fois pour raisons de santé et parce qu'il est attiré par la carrière maritime, Józef part en 1874 pour Marseille, où il embarque comme mousse sur un voilier. Il fait ainsi pendant près de quatre ans son apprentissage en France pour entrer ensuite dans la marine marchande britannique, où il va demeurer plus de seize ans. Il obtient son brevet de capitaine au long cours le , prend la même année la nationalité britannique, sous le nom de Joseph Conrad et commence à écrire. Conrad parle avec une égale facilité le polonais, l’allemand, le français et l’anglais ; mais il décide d’écrire dans la langue de sa nouvelle patrie.

En 1887, après un séjour à l'hôpital de Singapour pour une blessure reçue en mer, Conrad embarque comme second sur le Vidar et effectue au moins quatre voyages à Bornéo et des séjours à Berau.
En 1888, il embarque sur le voilier Otago qui est son premier et unique commandement comme capitaine. En 1890, recommandé auprès du capitaine Albert Thys, administrateur de la Compagnie du Commerce et de l'Industrie du Congo, il part travailler comme capitaine de steamer pour la Société du Haut-Congo officiant dans l'État indépendant du Congo. Il est engagé pour trois ans, mais ne réalise qu'un aller-retour en steamer entre Stanley-Pool et Stanleyville avant d'être rapatrié en Europe pour dysenterie[3].

En 1891, après une hospitalisation à Londres et une convalescence à Champel en Suisse, il embarque, le , comme second sur le clipper Torrens pour l'Australie. Après un deuxième voyage à Adélaïde et une visite à son oncle Tadeusz Bobrowski (en) en Pologne, il est rayé des rôles du Torrens et en embarque sur le vapeur Adowa comme second, pour le Canada, avec escale à Rouen. En , l'Adowa retourne à Londres où débarque Conrad. C'est la fin de sa carrière maritime[4].

Carrière littéraire[modifier | modifier le code]

Caricature par David Low, 1923.

Se consacrant désormais à son travail littéraire, Conrad achève La Folie Almayer qui paraît en , écrit Un paria des îles publié en . Désespérant de retrouver un commandement, il écrit à un ami « il ne me reste que la littérature comme moyen d'existence » et déclare clairement écrire pour l'argent… La même année, il épouse Jessie George et séjourne en Bretagne de mars à septembre — la vie est moins chère à Lannion et l'Île-Grande qu'à Londres — et y écrit certains de ses textes. De retour en Angleterre, il s'installe à Stanford-le-Hope, Essex, puis, en , à Ivy Walls, Essex (publication du Nègre du Narcisse). Son fils Boris (1898-1978), naît en 1898 (publication du recueil de nouvelles Inquiétude), et en octobre, la famille Conrad s'installe à Pent Farm, Kent, maison louée par l'écrivain Ford Madox Ford.
En , après la naissance du deuxième fils, John (1906-1982), les Conrad séjournent à Montpellier, puis à Genève. Il publie le Miroir de la mer.

En , Conrad, qui vient de souffrir d'une grave dépression nerveuse, quitte sa résidence d'Aldington, dans le Kent, où il s'est installé l'année précédente, pour Capel House, ferme isolée près d'Ashford, dans le même comté, pour près de dix ans cette fois. En , il publie Sous les yeux de l'Occident.
En 1919, obligés de quitter Capel House, les Conrad s'installent provisoirement à Spring Grove (publication de La Flèche d'or), puis vont habiter à Oswalds où est achevée la rédaction de La Rescousse. Pour faciliter la rédaction de l'Attente, Jessie et Joseph Conrad effectuent en un voyage en Corse puis Conrad, seul, une tournée aux États-Unis en 1923 (publication du roman Le Frère-de-la-Côte).

En 1924, après une crise cardiaque en juillet, Joseph Conrad meurt le à Bishopsbourne. Il est enterré le à Canterbury.
C'est en 1925 que paraissent Derniers Contes et un roman inachevé, L'Attente [5].

Une écriture[modifier | modifier le code]

En 1895, il publie son premier livre, La Folie Almayer, où il dépeint la perdition d’un Occidental en Malaisie. Dès lors paraissent régulièrement d’autres livres, toujours plus remarqués par les lettrés. Mais Conrad ne connaît que tardivement le succès commercial, avec Chance en 1913, ce dont il eut toujours du mal à comprendre la raison, sans doute la trop grande complexité de son œuvre. Tout au long de sa vie d'auteur, il a affirmé vouloir écrire pour le grand public, et laisse une œuvre considérable, notamment Le Nègre du Narcisse, Lord Jim, Jeunesse, Au cœur des ténèbres, Typhon, Nostromo, Le Miroir de la mer, Sous les yeux de l'Occident, L'Agent secret, Victoire.

Il a été classé parfois comme auteur de « romans de mer », ce qui serait aussi restrictif que pour Herman Melville sous le prétexte que celui-ci est surtout connu pour Moby Dick. De fait, Au cœur des ténèbres, Lord Jim, Nostromo, L'Agent secret, Sous les yeux de l'Occident, Victoire, de grands, sombres et profonds romans, ne se passent pas, ou peu, en mer…

Certains regardent Conrad comme un précurseur de l'existentialisme ; ses personnages sont faillibles, désenchantés, mais ne renoncent jamais à affronter la vie.

Conrad parle couramment le français, avec l'accent marseillais, en raison de son séjour dans la cité phocéenne. André Gide est son intercesseur dans le milieu littéraire français et traduit lui-même Typhon. Un Anarchiste, une des nouvelles du recueil A set of six, se passe en Guyane avec, pour personnage principal, un jeune Parisien.

Évocation littéraire[modifier | modifier le code]

Dans son ouvrage biographique Mon éducation - Un livre des rêves, l'écrivain William S. Burroughs se souvient ou rêve du « passage de l'orage », et en cite un extrait : « ...dans toute cette troupe d'hommes transis et affamés, qui attendaient avec lassitude une mort violente, on n'entendit aucune voix ; ils restaient muets et sombrement pensifs, écoutaient les horribles imprécations de la tempête ... »[6]. Dans le même rêve, il lit Jeunesse.

Joseph Conrad est également évoqué dans le roman Martin Eden de Jack London. Ce dernier y fait allusion en retranscrivant les pensées de son personnage principal, Martin, lequel peine à être publié dans les revues locales : « Il compara sa nouvelle, encore à peine ébauchée, avec celle de plusieurs écrivains de la mer et il en arriva à cette conclusion qu'elle leur était infiniment supérieure. Seul Joseph Conrad, murmura-t-il, pourrait rivaliser avec moi. Et il s'imaginait Conrad lui étreignant la main et lui disant : Bravo, Martin Eden, bravo ! » (chapitre 27).

Dans une lettre du 3 août 1915 destinée à Madeleine Pagès, Guillaume Apollinaire évoque Joseph Conrad : « Il y a trois polonais connus dans les lettres aujourd'hui et ils n'écrivent point en polonais. Conrad en Angleterre (il a du talent). Przybyzeswky en Allemagne. Et moi en France. »

Œuvres[modifier | modifier le code]

Romans[modifier | modifier le code]

Recueils de nouvelles[modifier | modifier le code]

Textes[modifier | modifier le code]

Mémoires[modifier | modifier le code]

Correspondance[modifier | modifier le code]

  • 1929 : Lettres françaises, avec une introduction et des notes de G. Jean-Aubry, ami, traducteur et biographe de Joseph Conrad (Gallimard)

Biographies de Joseph Conrad[modifier | modifier le code]

  • 1914 : Joseph Conrad, a Study, de Richard Curle
  • 1916 : Joseph Conrad, de Hugh Walpole
  • 1922 : Joseph Conrad and his Romantic Realism, de Ruth M. Sauffer
  • 1923 : Joseph Conrad, an Appreciation, d'E. Rendz
  • 1924 : Joseph Conrad, de G. de Voisins (in no 1er mars de la Revue de Paris)
  • 1924 : NRF, numéro de décembre 1924 consacré à Joseph Conrad
  • 1926 : Joseph Conrad in the Congo, de G. Jean-Aubry (Boston, Little, Brown)
  • 1927 : Joseph Conrad Life and Letters, de G. Jean-Aubry (2 volumes, Garden City, New York, Doubleday, Page)
  • 1929 : Joseph Conrad, l'homme et l'œuvre, de Maurice David (Éditions de la Nouvelle Revue Critique)
  • 1947 : Vie de Conrad, de G. Jean-Aubry (Gallimard)
  • 1968 : Les Années de mer de Joseph Conrad, de Jerry Allen (Denoël)
  • 1987 : Joseph Conrad, Trois vies, de Frederik R. Karl traduit de l'anglais par Philippe Mikriammos (Éditions Mazarine)
  • 1992 : Joseph Conrad, Biographie, de Zdzisław Najder traduit de l'anglais par Christiane Cozzolino et Dominique Bellion (Éditions Criterion)
  • 2001 : Joseph Conrad, a Biography, de Jeffrey Meyer (Cooper Square Press)
  • 2003 : Conrad, l'étrange bienfaiteur, d'Alain Dugrand (Fayard)
  • 2003 : Joseph Conrad et le Continent, de Claudine Lesage (Houdiard)
  • 2011 : Conrad, le Voyageur de l'inquiétude, d'Olivier Weber (Arthaud-Flammarion)
  • 2013 : Au bord de la mer violette, d'Alain Jaubert, Gallimard (biographies parallèle de Conrad et Rimbaud)
  • 2016 : La Malle de Joseph Conrad, de Dario Pontuale, Zeraq, Bordeaux
  • 2020 : Le Monde selon Joseph Conrad, de Maya Jasanoff, Albin Michel

Sur...[modifier | modifier le code]

  • André Green, Joseph Conrad : le premier commandement, Ed. In Press, 2008, coll. « In press edito », (ISBN 978-2-84835-146-9)
  • « Joseph Conrad, fossoyeur du mythe colonial »[8], critique d'Au cœur des ténèbres par Marc Delrez, Politique, revue débats, Bruxelles, no 65, .
  • Alain Finkielkraut, La tragédie de l'inexactitude: lecture de Lord Jim, in Un cœur intelligent, Stock/Flammarion, 2009
  • (en) Yves Hervouet, The French Face of Joseph Conrad, Cambridge University Press, 1990 (ISBN 978-0-521-38464-3)
  • Une revue lui est consacrée : L’Époque conradienne publiée aux Presses universitaires de Limoges par la société conradienne française
  • (de) Horst Gödicke, Der Einfluss Flauberts und Maupassants auf Joseph Conrad (L'influence de Flaubert et de Maupassant sur Joseph Conrad), (Thèse de doctorat, Université de Hambourg), Hamburg, 1969

Adaptations[modifier | modifier le code]

Au cinéma[modifier | modifier le code]

À la télévision[modifier | modifier le code]

  • 1973 : La Ligne d'ombre, téléfilm réalisé par Georges Franju, d'après le récit éponyme, avec Jean Babilée et Tino Carraro
  • 1983 : Le Corsaire, mini-série adaptée du roman Le Frère-de-la-Côte, coproduit par Antenne2, Telecip, et la RAI, réalisée par Franco Giraldi avec Philippe Leroy, Laura Morante, Ingrid Thulin ;
  • 1991 : Joseph Conrad, d'après le scénario de Pierre Kast, Le Rajah de la mer, série 6 × 55 min, diff. FR3, juillet-août 1991.
  • 1993 : Au cœur des ténèbres (Heart of Darkness) de Nicolas Roeg, avec Tim Roth
  • 1993 : Pour demain, de Fabrice Cazeneuve, avec Michel Bouquet
  • 1996 : Nostromo, mini-série de la BBC réalisée par Alastair Reid, avec Claudio Amendola, Albert Finney, Colin Firth, Lothaire Bluteau et Claudia Cardinale. Pendant les années 1980, le réalisateur anglais David Lean a longuement travaillé sur une adaptation cinématographique. À la mort du réalisateur, en , le projet est abandonné. Le roman Nostromo est finalement adapté pour la télévision britannique
  • 2002 : Au bout du rouleau , téléfilm de Thierry Banisti, avec Richard Bohringer, d'après la nouvelle "The End of the Tether"

En littérature[modifier | modifier le code]

  • Sven Lindqvist s'inspire de la nouvelle Au cœur des ténèbres et du contexte dans lequel Joseph Conrad l'a rédigée pour son livre Exterminez toutes ces brutes ! (expression qui conclut le rapport de Kurtz dans la nouvelle de Conrad).

Bande dessinée[modifier | modifier le code]

Hommages[modifier | modifier le code]

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. (en) Joseph Conrad sur l’Encyclopædia Britannica
  2. Chronologie de Joseph Conrad, dans Au Cœur des Ténèbres et autres récits, Paris, Gallimard, coll. "Bibliothèque de la Pléiade", p. XXXI.
  3. André-Bernard Ergo, Congo Belge la colonie assassinée, ed L'Harmattan, p. 14-31.
  4. Joseph Conrad aura passé un peu moins de 10 ans à naviguer effectivement, dont seulement 10 mois comme capitaine. Voir dans le blog Diacritiques : Conrad mis en abyme.
  5. Joseph Conrad, le voyageur de l'inquiétude[1].
  6. trad. par Sylvie Durastanti, parue chez Christian Bourgois éditeur (2007) (ISBN 978-2-267-01882-0).
  7. Le Figaro littéraire no 894 du samedi 8 juin 1963, p. 19).
  8. Marc Delrez, « Joseph Conrad, fossoyeur du mythe colonial », sur Politique, revue débats,
  9. (en) « Le cinema de vincent : alien (ridley scott) », sur vincentthe1.blogspot.com (consulté le ).
  10. Aurora Marion.
  11. Laurent Demoulin, « Du Rwanda au Cœur des ténèbres. Jean-Philippe Stassen illustre Conrad », Textyles, , p. 101-116
  12. Philippe Tomblaine, « « Au cœur des ténèbres » par Loïc Godart et Stéphane Miquel, d’après Joseph Conrad », sur BD Zoom,
  13. Sophie Torlotin, « Au cœur des ténèbres, ce n’est pas Indiana Jones », RFI,
  14. Aurélia Vertaldi, « La case BD: Le lendemain du monde ou la bonne âme de l'intelligence artificielle », sur Le Figaro, (consulté le ).

Liens externes[modifier | modifier le code]

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