Médéric Louis Élie Moreau de Saint-Méry

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Moreau de Saint-Méry
Pastel de James Sharples.
Fonctions
Député aux États généraux de 1789
Conseiller d'État
Biographie
Naissance
Décès
(à 69 ans)
Paris
Nationalité
Activités
Autres informations
Parti politique
Membre de
Distinction
Œuvres principales
Loix et constitutions des colonies franc̜oises de l’Amérique sous le vent (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
signature de Moreau de Saint-Méry
Signature

Médéric Louis Élie Moreau de Saint-Méry, né le [1],[2] à Fort-Royal, en Martinique, et mort le (à 69 ans) à Paris[3],[4], est un juriste, homme politique, esclavagiste et historien de la colonie de Saint-Domingue.

Colon créole[5], érudit et propriétaire d’esclaves, Moreau de Saint-Méry est aussi un acteur de la Révolution française, tout autant engagé à Paris en 1789 dans le processus révolutionnaire anti-absolutiste, que dans la réaction coloniale esclavagiste et ségrégationniste.

Biographie[modifier | modifier le code]

Avant la Révolution[modifier | modifier le code]

D'une famille du Poitou, Médéric Louis Élie Moreau de Saint-Méry perd son père très jeune et, à 19 ans, se fait admettre dans les gendarmes du roi ; il étudie en même temps le droit et est reçu avocat au parlement de Paris en 1771. Son congé terminé, il revient à la Martinique où l'état de ses affaires, après la mort de sa mère, l'oblige d'aller exercer sa profession au Cap français, sur l’île de Saint-Domingue, où il se voit gratifié d’un poste au Conseil supérieur de Saint-Domingue. Il s’intéresse au problème de la codification des lois coloniales et publie Lois et Constitutions des colonies françaises sous le vent. En 1785, il devient franc-maçon[6],[7] membre de la loge des Neuf Sœurs[8]. Il est le premier secrétaire perpétuel élu du Musée, société savante créée par Jean-François Pilâtre de Rozier[9].

Révolution française[modifier | modifier le code]

Il revient à Paris en 1785 où il participe à la création d’un comité colonial, destiné à empêcher toute réforme du système esclavagiste, et collabore aux travaux du club de l'hôtel de Massiac, représentant les grands planteurs esclavagistes à Paris.

Le , Saint-Méry devient président de l’assemblée générale des Électeurs parisiens. Il participe au 14 juillet comme membre du Comité des électeurs et organise la distribution des armes aux révoltés. Le , il se fait admettre comme député de la Martinique à l’Assemblée nationale constituante. Il y participe aux débats sur la question coloniale de au sujet de l’appartenance ou non des Africains et de leur descendants au genre humain. Député esclavagiste, il s’oppose aux revendications du métis de Saint-Domingue Julien Raimond pour la citoyenneté active dans le cadre de la constitution censitaire de 1791. Moreau de Saint-Méry fut l’artisan de la consécration constitutionnelle de l’esclavage lors du vote de l’Assemblée nationale constituante pour le décret du .

Par hostilité au décret du sur l'égalité des droits des blancs et des hommes de couleur libres, il choisit de boycotter l'Assemblée nationale constituante avec plusieurs autres députés des colonies. À ce titre les 9 et sur initiative de Danton, le club des Jacobins entame une procédure de suspension contre quatre d'entre eux : Gouy d'Arcy, Jean-Baptiste Gérard, Joseph Curt et lui-même. Les quatre représentants ont violé le Serment du Jeu de paume, qui les engageait à ne jamais se séparer de leurs collègues avant d'avoir donné une constitution à la France[10]. En juillet, ils adhèrent au club des Feuillants, nouvelle formation politique. Cinq autres députés des départements français, les frères Alexandre de Lameth et Charles Malo de Lameth, Antoine Barnave, Adrien Duport et Goupil de Prefeln seront radiés du club des Jacobins après leur décision de faire révoquer le le décret du .

Moreau de Saint-Méry aux États-Unis[modifier | modifier le code]

Attaqué par les fédérés de Marseille et menacé par un mandat d'arrêt, Moreau de Saint-Méry se réfugie en 1794, avec sa femme et ses deux fils, aux États-Unis. Il y fréquente d’autres ex-planteurs de sucre comme Jean-Simon Chaudron et devient l’une des figures de la communauté des réfugiés français de Saint-Domingue en Amérique. Après un court séjour à New York, il s'installe à Philadelphie où il ouvre une librairie et édite un journal, Le Courrier de la France et des colonies[11]. Il revient en France en 1798 où l’appui de Talleyrand lui vaut une charge au ministère de la Marine. Il obtient l'emploi d'historiographe de la marine, grâce à la protection de l'amiral Bruix qu'il avait connu aux colonies, et est nommé conseiller d'État le 4 nivôse an VIII.

Administrateur à Parme[modifier | modifier le code]

Par le traité d'Aranjuez du conclu entre la France et l'Espagne, le duc Ferdinand Ier de Parme perd son duché au profit de la France. Cependant le duc refuse de quitter ses états et obtient de l'occupant l'autorisation d'y rester. Le duc Ferdinand meurt le 9 octobre suivant à l'âge de 51 ans peut-être empoisonné. Son fils se trouvant en Espagne, il laisse la régence à la duchesse, sœur de la défunte reine de France. Dès le 22 octobre, la France annexe le duché. La duchesse douairière et ses filles se réfugient en Autriche.

Présent à Parme depuis pour préparer les changements induits par l'annexion du duché, Moreau de Saint-Méry prend possession du duché en qualité d’administrateur délégué général des États parmesans, patronné par Talleyrand[12]. Par une série d’actes administratifs, il met en place d’importantes innovations dans le domaine du droit : il abolit les lois anti-hébraïques, interdit la torture, sépare complètement les lois civiles des lois pénales. Il réforme les tribunaux en introduisant de nouvelles lois, certaines dérivées de la nouvelle législation française. Franc-maçon, en 1804 il est fondateur de la loge de Parme[13]. Le , les réformes juridiques qu’il a mises en place disparaissent avec l’introduction du code Napoléon dans tout l’Empire.

Lors de son séjour à Parme, il publie une étude sur la danse dédiée « aux Créoles, par leur admirateur ».

Le mécontentement de la population lié à la conscription militaire culmine en 1806 avec la révolte des paysans de Castel San Giovanni, qui dégénère en combat avec les militaires français à Bardi, Borgotaro. Napoléon voit dans ces évènements la preuve de l’incapacité de Moreau à gérer la situation : il le fait remplacer par le général Junot qui reçoit des ordres pour une répression sévère[6]. Moreau tombe en disgrâce, sans charge ni salaire de conseiller d’État, et rentre à Paris ruiné non sans emmener des documents anciens dont un code datant du IXe siècle[6]. L’impératrice Joséphine, peut-être parce qu’elle aussi est née à la Martinique, lui accorde une maigre pension, qu’il touche jusqu’à sa mort. Il se consacre à la franc-maçonnerie et devient, en 1810, grand officier d'honneur du Grand-Orient de France[6]. En 1817, ces difficultés financières se résolvent lorsque Louis XVIII lui rachète ses archives et sa bibliothèque [6]. Il meurt le à Paris.

Lois et constitutions des colonies françaises de l’Amérique[modifier | modifier le code]

Moreau de Saint-Méry, Président des Électeurs de Paris au Mois de juillet 1789.

C’est son ami Jean-Jacques Fournier de Varennes, dit le marquis de Bellevue, descendant d’une grande famille de Saint-Malo, commandant de la milice et membre de chambre d’agriculture du Cap-Français de Saint-Domingue, qui l’aide à écrire son plus fameux ouvrage, Lois et constitutions des colonies françaises de l’Amérique sous le vent[14], en complète rupture avec la philosophie des Lumières.

Vers la fin du XVIIIe siècle, Saint-Méry développe dans son ouvrage Description topographique, physique, civile, politique et historique de la partie française de l’isle Saint-Domingue, une théorie arithmétique de l’épiderme dans les colonies, qui hiérarchise les cent vingt-huit combinaisons possibles du métissage noir-blanc en neuf catégories (le sacatra, le griffe, le marabout, le mulâtre, le quarteron, le métis, le mamelouk, le quarteronné, le sang-mêlé)[15],[16]. Cette démarche traduit la préoccupation majeure des colons esclavagistes : la discrimination par l’épiderme, selon le préjugé de couleur[17]. La caste des colons blancs esclavagistes constitue l’« aristocratie de l’épiderme[18] » . Il porte un regard appuyé, proche de la fascination, sur les relations sexuelles interraciales[19].

Publications[modifier | modifier le code]

  • Loix et constitutions des colonies françoises de l'Amérique sous le vent tome 1, Comprenant les Loix et Constitutions depuis 1550 jusqu'en 1703 inclusivement, tome 2, 1704-1721, tome 3, 1722-1749, tome 4, 1750-1765, tome 5, 1766-1779, tome 6, 1780-1785
  • Description topographique et politique de la partie française de l’isle de Saint-Domingue, Philadelphie, 1796 tome 1, tome 2
  • Idée générale ou abrégé des sciences et des arts à l'usage de la jeunesse, Philadelphie, 1796
  • Description topographique, physique, civile, politique et historique de la partie française de l’isle Saint-Domingue, Philadelphie, Paris, Hambourg, 1797-1798
  • Description topographique et statistique des États de Parme, Plaisance et Guastalla, 8 vol. (manuscrit inédit conservé à Parme)
  • De la danse, Parme, Bodoni, 1801 (et réédité en 1803).
  • Discours sur l'utilité du musée établi à Paris, prononcé dans sa séance publique du , par M. L.-E. Moreau de Saint-Méry, Parme, Bodoni, 1805, 32 p. (lire en ligne)
  • Discours sur l'utilité des assemblées publiques littéraires, par M. L.-E. Moreau de Saint-Méry, Parme, Bodoni, 1805, 28 p. (lire en ligne)
  • Mémoire sur un nouvel équipage de chaudières à sucre pour les colonies, avec le plan dudit équipage, par M. L.-E. Moreau de Saint-Méry, Paris : chez Hardouin et Gattey, 1786 (lire en ligne)
  • Opinion de M. Moreau de Saint-Méry, député de la Martinique à l'Assemblée nationale, sur les dangers de la division du ministère de la Marine et des Colonies, par M. L.-E. Moreau de Saint-Méry, Paris : Imprimerie nationale, 1790 (lire en ligne)
  • Opinion de M. Moreau de S. Méry, député de la Martinique, imprimé par ordre de l'Assemblée nationale : sur la motion de M. de Curt, député de la Guadeloupe, pour l'établissement d'un comité chargé particulièrement de l'examen de tous les objets coloniaux : séance du premier , par M. L.-E. Moreau de Saint-Méry, Paris : Imprimerie nationale, 1789 (lire en ligne)

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. « Acte de baptême », sur Base Léonore
  2. Guillaume de Tournemire, « Médéric Louis Elie MOREAU de SAINT-MERY », sur le site de généalogie Geneanet (consulté le ).
  3. « Notice biographique de M. Moreau de Saint-Méry », sur Gallica
  4. « Acte décès (État civil reconstitué de Paris p. 16/51) », sur Archives de Paris
  5. Entendu au sens du XVIIIe siècle de « personne de race blanche » née sous les Tropiques de parents venus d'Europe et qui s'y sont installés, par opposition aux Français, Espagnols, Portugais récemment arrivés d'Europe ou simplement de passage sur une ile tropicale et aux non-blancs.
  6. a b c d et e Zannoni 2006, p. 49
  7. Il adopte pour devise Il est toujours l'heure de faire le bien pensée qu'il fait graver sur ses montres.
  8. Alain Le Bihan, Francs-maçons parisiens du Grand Orient de France (fin du XVIIIe siècle, Commission d'étude et d'histoire de la Révolution, , p. 367.
  9. Les Francs-Maçons, la connaissance scientifique et les machines au siècle des Lumières sur erudit.org(p. 77)
  10. Jacques Thibau, Le temps de Saint-Domingue l'esclavage et la révolution française Paris,Jean-Claude Lattès, 1989 ; Jean-Daniel Piquet, L'émancipation des Noirs dans la Révolution française (1789-1795), Paris, Karthala, 2002
  11. Emmanuel de Waresquiel, Talleyrand, le prince immobile Paris, Tallandier, 2015, p. 249.
  12. (it) Adele Vittoria Marchi, Parma e Vienna, édition Artegrafica Silva Parma, 1988 ; Gianfranco Stella, Parma, édition Quaderni Parmensi, 1988.
  13. Stefano Mazzacurati, "Tra due Orienti. Parabola massonica nell'esistenza di Moreau de Saint-Mery", Hiram, revue du Grand Orient d'Italie, 2014, n. 1, p. 59-66.
  14. [1]
  15. Il suppose que l'homme forme un tout de cent vingt-huit parties, blanches chez les Blancs, et noires chez les Noirs. Partant de ce principe, il établit que l'on est d'autant plus près ou plus loin de l'une ou de l'autre couleur, qu'on se rapproche ou qu'on s'éloigne davantage du terme soixante-quatre, qui leur sert de moyenne proportionnelle. D'après ce système, tout homme qui n'a pas huit parties de blanc est réputé noir. Marchant de cette couleur vers le blanc, il distingue neuf souches principales, qui ont encore entre elles des variétés d'après le plus ou le moins de parties qu'elles retiennent de l'une ou de l'autre couleur. Ces neuf espèces sont le sacatra, le griffe, le marabout, le mulâtre, le quarteron, le métis, le mamelouk, le quarteronné, le sang-mêlé. Le sang-mêlé, en continuant son union avec le blanc, finit en quelque sorte par se confondre avec cette couleur.
  16. Chantal Maignan-Claverie, Le métissage dans la littérature des Antilles françaises: le complexe d'Ariel, Karthala, 2005, p.14
  17. Christophe Ventura, « L'aristocratie de l'épiderme. Le combat de la Société des citoyens de couleur, 1789-1791 », Le Monde diplomatique,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  18. Description topographique de la partie française de Saint-Domingue
  19. Blanchard et al. 2018, p. 129.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • « Médéric Louis Élie Moreau de Saint-Méry », dans Adolphe Robert et Gaston Cougny, Dictionnaire des parlementaires français, Edgar Bourloton, 1889-1891 [détail de l’édition]
  • (it) Emilia Carra, Gli inediti di Moreau de Saint-Méry à Parme, Parme, Fresching, [1954].
  • Florence Gauthier, L’Aristocratie de l’épiderme. Le combat de la société des citoyens de couleurs, 1789-1791, Paris, CNRS Editions, . (ouvrage confrontant les positions de Moreau de Saint-Méry à celle de Julien Raimond pendant la période révolutionnaire)
  • Edna Le May, "Moreau de Saint-Mery" dans Dictionnaire des constituants Edna Le May (dir) Paris, 1991.
  • (it) Adele Vittoria Marchi, Parma e Vienna : cronaca di tre secoli di rapporti fra il ducato di Parma Piacenza e Guastalla e la corte degli Asburgo, Parme, Artegrafica Silva, .
  • Christine Peyrard, Francis Pomponi et Michel Vovelle, dir., L'administration napoléonienne en Europe : adhésions et résistances, Aix-en-Provence, Publications de l'Université de Provence, .
  • Gilbert Arnaud, Professeur André Fugier, Un proconsul Français en Italie : Moreau de Saint-Méry à Parme (1801-1807), Lyon, Université Jean Moulin Lyon 3, (lire en ligne [PDF]).
  • Jean-Daniel Piquet, L'émancipation des noirs Noirs dans la révolution française(1789-1795), Paris, Karthala, 2002.
  • (it) Gianfranco Stella, Parma, Parme, Quaderni Parmens, .
  • Gérard Thélier, Le Grand Livre de l’esclavage, des résistances et de l’abolition: Martinique, Guadeloupe, la Réunion, Guyane, Chevagny-sur-Guye, éditions Orphie, , p. 123.
  • Jacques Thibau, Le Temps de Saint-Domingue, l'esclavage et la Révolution française, Paris, Jean-Claude Lattès, .
  • (it) Mario Zannoni, Napoleone Bonaparte a Parma nel 1805, Parme, MUP-Fondazione Monte di Parma, . Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • Pascal Blanchard (dir.), Nicolas Bancel (dir.), Gilles Boëtsch (dir.), Christelle Taraud (dir.) et Dominic Thomas, Sexe, race et colonies : la domination des corps du XVè siècle à nos jours, Paris, La découverte, , 543 p. (ISBN 9782348036002).

Biographie et sources manuscrites[modifier | modifier le code]

  • Catalogue des livres et manuscrits de la bibliothèque de feu M. Moreau de Saint-Méry,... dont la vente se fera le mercredi , Paris, Merlin, , VIII-109 p.
  • Moreau de Saint-Méry, Description topographique et statistique des États de Parme, Plaisance et Guastalla, 8 vol. (manuscrit inédit).
  • Journal de Moreau de Saint-Méry (manuscrit inédit)
  • Taffin (Dominique), dir., Moreau de Saint-Méry ou Les ambiguïtés d'un créole des Lumières : actes du colloque des 10- organisé par les Archives départementales de la Martinique et la Société des amis des archives et de la recherche sur le Patrimoine culturel des Antilles avec le concours de l'Université des Antilles et de la Guyane, Fort-de-France, Société des amis des archives et de la recherche sur le patrimoine culturel des Antilles, 2006

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]